Au Bénin où les médias se précipitent pour annoncer les chiffres de grossesses en milieu scolaire à la fin de chaque année académique, des Centres jeunes Amour et Vie (CJAV) travaillent dans des collèges et lycées pour enrayer le phénomène.
Hortense Kpegni est dans son bureau. On dirait presque un confessionnal. Pour la voir, il faut traverser la salle d’accueil qui donne sur un couloir à l’entrée de laquelle se trouve un cyber, tourner à droite sur 5 mètres sans éclairage avant de tomber sur sa porte à gauche, frapper et entrer quand elle répond.
Depuis 2013, cette infirmière est la conseillère principale de santé du Centre jeune Amour et Vie (CJAV) au Collège d’enseignement général (CEG1) d’Abomey-Calavi. Réservée, elle pense que « pour mieux vivre, il faut vivre cacher » et s’affiche comme une indécrottable de la discrétion. Cette qualité fait d’elle une véritable confidente. C’est ce qu’elle est d’ailleurs au quotidien pour de nombreux adolescents et jeunes, notamment les filles qui viennent dans son bureau.
Au Bénin où chaque année scolaire vient avec son cortège de grossesses précoces par millier, le désir ardent de Hortense est de voir les jeunes filles élèves finir leurs études ou tout au moins le collège avant de tomber enceinte comme Esther Dadélé, sa compagnonne de boulot qui attend un bébé.
« La contraception permet aux jeunes filles de mieux faire leurs études, de ne pas attraper une grossesse en chemin et d’être responsables »
Hortense Kpegni
Ouvert aux adolescents et jeunes de 10 à 24 ans de mardi à samedi, « le centre, informe Hortense, a deux volets. Le volet clinique et le volet ludique. En ce qui concerne le volet clinique, nous écoutons les jeunes sur tout problème de santé sexuelle ». En matière de prévention des grossesses en milieu scolaire, au niveau des CJAV, il existe des services de contraception. « La contraception permet aux jeunes filles de mieux faire leurs études, de ne pas attraper une grossesse en chemin et d’être responsables », explique la conseillère de santé.
A Abomey-Calavi, l’une des communes les plus peuplées du Bénin, seulement deux collèges ont un CJAV. Situé à environ 10 kilomètres du CEG1, le CEG « Le Plateau » à Womey est le deuxième collège où l’on trouve un CJAV dans la commune. Revenue d’une séance de sensibilisation dans un établissement voisin par ce mardi ensoleillé du 20 avril 2021, Martine Akindès est aussi conseillère santé pour de nombreux adolescents et jeunes.
Dans son centre que fréquentent 50 élèves par jour en moyenne, elle apprend qu’on y « fait la prévention des grossesses à base des mesures contraceptives modernes, on écoute, on conseille les jeunes sur tout problème de santé sexuelle ».
« Des fois, rien que pour ceux qui viennent prendre conseil, on reçoit plus de 50 élèves par jour. On est obligé de faire un counseling c’est-à-dire des causeries de groupes et après on les reçoit en tête à tête »
Conseillère CJAV Plateau
L’unique conseillère du CJAV du Plateau est parfois débordée par le nombre de jeunes en besoin de conseils en santé sexuelle. « Des fois, rien que pour ceux qui viennent prendre conseil, on reçoit plus de 50 élèves par jour. On est obligé de faire un counseling c’est-à-dire des causeries de groupes et après on les reçoit en tête à tête ». Lors de ces counselings, la clinicienne ne discute pas de questions personnelles. « On parle de tout ce qui peut se dire en public. Les problèmes personnels sont examinés en toute confidentialité pendant les têtes à têtes ». La prévention des grossesses, les conséquences des grossesses précoces font partir des nombreux termes abordés avec les jeunes.
En dehors de la prévention des grossesses, ces centres conviviaux offrent également aux adolescents et jeunes, des services gratuits de dépistage du VIH, des tests d’hépatite B, de lutte contre les infections sexuellement transmissibles et même de prise en charge. Pour leurs séances périodiques de sensibilisation et d’éducation, les conseillères santé des CJAV ont une gamme variée d’outils de travail dont des boîtes à images, les condoms, le phallus (pour le public cible des élèves sexuellement actifs), un tableau des méthodes de contraception.
Des résultats palpables
Avec les conseillères devenues leurs confidentes, les élèves tissent des liens de confiance. Merveille A. et Estelle A. toutes deux âgées de 15 ans et en classe de 4è au CEG « Les Pylônes » sont copines et fréquentes régulièrement le CJAV de leur collège à Cotonou. Elles n’ont pas de secret pour la conseillère du Centre qu’elles appellent affectueusement » Tata ».
« Je viens ici pour prendre des conseils. Mon copain aussi. On a adopté le préservatif et on se protège chaque fois »
Merveille, 15 ans en classe de 4ème
Estelle qui a déjà un petit amoureux apprend qu’elle vient souvent au CJAV pour se confier et prendre des conseils sur sa relation. « La première fois que je suis venue ici, c’est pour faire le test du VIH/Sida avant de partir en congés de détente. La Tata nous donne beaucoup de conseils. Comme je suis en classe de 4è et que j’ai un petit ami qui est aussi dans une autre classe de 4è, la Tata nous dit comment gérer notre relation », confie-t-elle. Grâce aux conseils reçus, sa copine Merveille également engagée dans une relation amoureuse et déjà sexuellement active a compris qu’elle doit se protéger pour ne pas contracter les Infections sexuellement transmissibles et éviter une grossesse précoce sur les bancs. « Je viens ici pour prendre des conseils. Mon copain aussi. On a adopté le préservatif et on se protège chaque fois ».
Des parents amènent aussi leurs filles pour des conseils. Hélène Agbodzia, la clinicienne de ce centre nous apprend qu’elle a reçu une mère d’élève qui a amené sa fille, une adolescente pour lui faire adopter une méthode de contraception parce qu’« elle sort trop ».
Dans ce collège qui fait partir des plus grands de Cotonou avec un effectif de 3466 élèves dont 1748 filles et 1718 garçons pour cette année scolaire 2020-2021, le directeur Saturnin Gbaguidi est content de noter une régression des cas de grossesses précoces. Sur les trois dernières années fait-il savoir, feuilletant les rapports de fin d’années, le CEG « Les Pylônes » est passé de 8 cas de grossesses en 2018-2019 à 03 cas en 2019-2020 (malgré une explosion générale de cas dans le pays en raison des perturbations du calendrier scolaires du fait du Covid-19) et seulement 02 cas enregistrés jusqu’au mois d’avril pour l’année scolaire 2020-2021 qui arrive à son terme.
« Les cas de grossesses chez les élèves ont réduit, le CJAV nous aide beaucoup. Nous sommes assistés par la clinicienne et lorsque les apprenants ont des soucis, ils vont vers elle », témoigne le directeur de cet établissement qui compte plus de filles que de garçons. « Ces centres doivent être absolument implantés dans tous les collèges », pense-t-il. Son établissement, 1er des collèges publics du département du Littoral au BEPC 2020 avec 61,59% de taux de réussite, connaît une amélioration, d’année en année des résultats des élèves filles. Au BAC, les filles sont notamment passées de 29,22% de taux réussite en 2018 à 50,91% en 2019 puis à 58,49% en 2020.
D’un collège doté de CJAV à un autre, la courbe des grossesses est descendante pour les trois visités. De 11 cas de grossesses en 2019, le CEG1 Abomey-Calavi est passé à moins de 10 cas en 2020 puis à 3 cas enregistrés pour cette année scolaire qui tend à sa fin, fait savoir Sètchédé Awala, le directeur de l’établissement. « Pour le compte de cette année scolaire nous avons enregistré 03 cas de grossesses. Je ne dis pas que c’est insignifiant, mais par rapport aux taux de grossesses dans d’autres milieux scolaires 03 cas de grossesses sur près de 2000 filles inscrites, je dis que les activités de ce centre commencent par avoir un résultat éloquent. Les faits sont là, ce centre joue un très grand rôle dans l’éducation sexuelle des filles ».
Puisqu’il suit de près les activités et assure qu’il n’interfère par souci du secret professionnel, le chef d’établissement atteste que « ce centre reçoit les élèves dans les conditions requises de discrétion, de respect de l’intimité des jeunes filles qui ont la chance de se confier à la clinicienne. Là, elles reçoivent des conseils très utiles en matière d’éducation sexuelle. Elles ont même la possibilité de bénéficier des méthodes de contraception ».
« C’est à démultiplier, encourager, subventionner. Le travail des CJAV est social, les résultats sont là, incontestables. Ce n’est pas estimable, ce n’est pas quantifiable »
M. Sètchédé Awala
Comme son homologue des Pylônes à Cotonou, le Directeur Sètchédé Awala estime qu’« il faut absolument » doter chaque établissement scolaire secondaire de Centre Jeune Amour et Vie. « C’est à démultiplier, encourager, subventionner. Le travail des CJAV est social, les résultats sont là, incontestables. Ce n’est pas estimable, ce n’est pas quantifiable » dit-il en comparaison de ce que font les enseignants dans la vie d’un pays.
Devenus un symbole de la prévention des grossesses en milieu scolaire, les CJAV sont une initiative de l’Association béninoise pour le marketing social (ABMS) soutenue par l’Ambassade des Pays-Bas. C’est en 2013 que les premiers CJAV ont ouvert leurs portes. 13 au départ, ils sont actuellement 25 implantés dans 19 communes du Bénin. Seulement 10 collèges abritent un CJAV. Les 15 autres sont implantés à des endroits spécifiques comme les centres de promotion sociale, les marchés et ailleurs.
Des défis toujours présents et des perspectives
En dépit des résultats des CJAV, les grossesses en milieu scolaire demeurent une préoccupation majeure au Bénin. Le 5 janvier 2021, le ministre de l’Enseignement secondaire et de la formation technique a dû s’expliquer devant les députés à l’Assemblée nationale sur la situation qui prévaut. Au total, 9369 cas de grossesses ont été enregistrés de 2016 à 2020 dans les établissements scolaires publics et privés du pays. Selon les données fournies par le ministre Kakpo Mahougnon, « 2912 cas de grossesses sur 288 181 filles inscrites ont été enregistrés en 2017-2018 ; 1122 cas sur 290 845 filles en 2018-2019 et 2290 cas de grossesses pour le compte de l’année scolaire 2019-2020 ».
La pauvreté, le manque d’information et des dialogues parents-enfants quasi-inexistants sur la sexualité, les difficultés d’accès aux méthodes contraceptives sont souvent cités comme les causes du phénomène. Les études sur le phénomène signalent également chez les adolescentes et jeunes filles une précocité de l’activité sexuelle. « Les femmes ont leurs premiers rapports sexuels à un âge plus précoce que les hommes » fait savoir la dernière enquête démographique de santé réalisée de 2017 à 2018.
L’étude révèle qu’au Bénin, dans la tranche des 15-19 ans, « 12 % des filles avaient déjà commencé leur vie sexuelle avant d’atteindre l’âge exact de 15 ans contre 6 % chez les jeunes hommes ».
Avant 18 ans exacts, « 59 % des femmes » avaient déjà eu leurs premiers rapports sexuels contre « 39 % chez les hommes ».
« La plus grande leçon que nous avons apprise, c’est que nous avons pu montrer l’importance des centres (…) Le grand défi pour nous, c’est d’assurer l’autonomisation des centres »
Hugues Setho, coordonnateur de projet Santé Jeune
Face à ce défi toujours présent, la démultiplication des CJAV pourrait être suggérée comme solution. Hugues Setho n’y verrait pas d’inconvénient. Mais, le coordonnateur de projet Santé Jeune indique qu’il y a un préalable à régler : « La plus grande leçon que nous avons apprise, c’est que nous avons pu montrer l’importance des centres. Nous avons pu mettre en place les institutions qui peuvent nous aider à insérer les centres jeunes dans les dispositifs institutionnels au niveau communautaire et au niveau étatique (…). Le grand défi pour nous, c’est d’assurer l’autonomisation des centres ».
A l’étape actuelle de l’initiative, l’ABMS a réussi à amener les établissements scolaires qui accueillent les CJAV à prendre en charge les factures d’électricité et d’eau, assurer des réparations. De même, avec l’encrage institutionnel des CJAV, quelques réactifs et produits de bases sont obtenus au niveau des zones sanitaires. « La prise en charge des salaires des prestataires qui sont là est un défi. Nous sommes en train d’offrir des services sociaux. Pour des raisons d’accessibilité, les jeunes ne peuvent pas payer. Donc, il faut que l’Etat ou la communauté paye. C’est ça qui fait que nous sommes un peu prudents par rapport à la démultiplication », a-t-il signalé. A ce sujet, dit-il, un plaidoyer est en cours auprès des décideurs locaux pour les amener à voir comment ils peuvent assurer la durabilité financière des services. Par ailleurs, au niveau de l’ABMS, on réfléchit à d’autres types de centres jeunes qui ne devraient pas avoir la forme que l’on connaît actuellement afin de répondre aux nouvelles exigences des ados et jeunes.
Du côté du bailleur, le souci de la pérennité de l’initiative est d’actualité. « 25 centres dans 19 communes ce n’est pas suffisant. On pourrait couvrir toutes les communes. Mais dans la mise en œuvre de toute activité même s’il en sort de bons résultats, il est important de trouver les stratégies pour sa pérennisation avant de chercher à aller à l’échelle. Nous sommes à ce niveau, comment assurer la pérennité de ces centres existants quand il n’y aurait plus de financement des Pays-Bas disponible », a confié, Olivia Diogo, Expert santé de reproduction et Droits sexuels à l’Ambassade des Pays-Bas. A ce sujet assure-t-elle, les concertations sont en cours avec les autorités béninoises et « on y travaille ».
A propos de l’encrage des CJAV
Ce qui fait le succès des CJAV qui ne sont pas la première initiative du genre – de précédentes ayant échoué-, selon Hugues Pascal Setho, Coordonnateur du programme Santé Jeune à l’ABMS, c’est toute l’organisation en amont et en aval du projet. A la conception fait-il savoir, « nous avons pris sur nous de voir ce qui se passait, l’expérience que le Bénin a eu par rapport à ces services consacrés aux adolescents et jeunes. Nous avons découvert qu’il y avait une initiative de l’UNFPA et qui malheureusement n’avait pas eu toute l’adhésion requise pour trois raisons ».
A la différence des anciennes initiatives de centres qui n’assuraient pas une fréquentation exclusive aux adolescents et jeunes et n’offraient pas de perspectives de pérennisation, les CJAV, informe cet expert du marketing social, ont été conçus en s’appuyant sur les désirs de la cible.
« Dans la démarche, nous avons d’abord fait une évaluation pour voir comment le besoin en service de santé sexuelle des jeunes peut se manifester et être satisfait à tous les niveaux. C’est là que nous avons compris que les réalités variaient d’un milieu à un autre. Le lieu d’implantation à Abomey-Calavi n’a pas été ce qui a été désiré par les jeunes de Dangbo. Ce qui fait que vous avez des centres jeunes dans les collèges, dans les Centres de promotion sociale on a même un centre dans un marché. Ce sont les orientations exprimées par les jeunes qui ont motivé les implantations des CJAV çà et là ».
Pour assurer une pérennisation et avoir un encrage institutionnel, indique Hugues Setho, l’ABMS a pensé à une structure de suivi qui implique des acteurs clés autour de son initiative. Il y a un comité national de suivi (CNS) multisectoriel au sein duquel siègent quatre ministères qui sont les ministères clé de tutelle des cibles. Il y a le ministère de la santé qui tient la présidence du CNS, le ministère de l’Enseignement secondaire, le ministère de la Famille et le ministère de la Jeunesse. Du CNS, dépendent des Comités locaux de suivi (CLS) qui comprennent entre autres, en leurs seins, les médecins coordonnateurs de zones sanitaires qui assurent le volet technique.
Un autre niveau d’organisation que l’on découvre autour des CJAV, c’est celui de la mobilisation sociale des adolescents et jeunes. « Nous avons une approche intégrée qui commence par un environnement communautaire sain et favorable parce qu’il y a aujourd’hui beaucoup de normes socio-culturelles qui ne sont pas trop favorables aux services des adolescents et jeunes » en matière de santé sexuelle. L’ABMS s’appuie sur des partenaires communautaires dont des ONG, des leaders religieux, des élus locaux qui ont un plan de communication pour informer de l’importance de discuter avec les enfants et de les encourager à fréquenter ces services. Une page Facebook, des émissions radio et un magazine scolaire sont mis à contribution pour sensibiliser les ados et jeunes.
Cet article a été rédigé avec l’appuie du Solutions journalism Network, dans le cadre de notre participation au LEDE Fellowship SJN 2021
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