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L’enseignement à ciel ouvert, l’espoir des enfants nomades

Le système éducatif tchadien dans sa mise en œuvre écarte une bonne partie des enfants des éleveurs nomades. Du nord au sud, principal couloir de transhumance, ces enfants n’ont pas la stabilité de bénéficier de l’éducation formelle. Mais en pleine capitale, le jeune Léonard Gamaygué, diplômé en psychologie de l’éducation, s’est lancé dans une aventure passionnante. Récit.

Le 29 mai 2021, à Walia, sortie sud de la ville de N’Djamena, le campement des éleveurs nomades a changé de décor. La raison, la célébration du premier bal de fin d’année des enfants nomades. Une école à ciel ouvert, où 168 enfants nomades y sont encadrés. Elle accueille pour la première fois ce genre d’activités. Tout a commencé il y a deux ans, quand Léonard Gamaygué, un jeune diplômé en psychologie de l’éducation se rendait à Toukra. Il aperçut alors un enfant en âge d’être scolarisé en train de jouer sous un arbre aux environs de 8 heures du matin. Une heure où des enfants de son âge sont dans une salle de classe. Comme cet enfant des milliers d’enfants d’éleveurs nomades se retrouvent ainsi en marge du système éducatif formel. Ce qui représente une violation de l’un des droits fondamentaux de l’enfant. La scolarisation des enfants nomades a été au centre des beaucoup de plaidoyer mais l’action sur le terrain est absente.

Léonard Gamaygué, jeune enseignant et ses apprenants/ph: L.Gamaygué

Une initiative révélatrice

Le jeune Léonard Gamaygué et l’un de ses amis ont bénévolement décidé d’encadrer ces enfants. « Je me suis dit que si je pouvais faire quelque chose pour eux, ça serait quelque chose de bien. C’est comme ça que le même soir, je suis revenu rencontrer leurs parents et discuter de mon initiative. Ils sont aussitôt tombés d’accord », raconte-il. Ils n’ont pas eu trop de difficultés à faire asseoir le projet. Car, au-delà de l’avis des parents, pour les apprenants, c’est un plaisir. « Les enfants m’ont vu venir avec un tableau, et ils se sont approchés sans hésitation pour suivre leur premier cours. J’ai commencé par recenser tous les enfants qui se trouvaient dans ce campement. Ils étaient au total 16. Puis, j’ai commencé à nettoyer l’ombrage du Nimier qui nous servirait de salle de classe de fortune », se souvient-il, ému. Au bout du temps, l’engouement a pris le dessus sur les difficultés. « L’effectif des élèves est passé de 16 à 186 apprenants » affirme Léonard avant d’ajouter que : « ces enfants prennent place sous cet arbre dès l’aurore et des fois, dans le froid, la poussière ou le vent. C’est cet effort touchant qui me motive ».

Le nombre des apprenants a vite augmenté passant de 16 à 186

Léonard, pour faire face aux charges de son école de fortune, fabriquait des briques au bord du fleuve Chari et des vacations pour acheter les matériels didactiques. Des personnes de bonne volonté, touchées par son engagement, l’appuient avec quelques stylos, craies et cahiers. Du côté des parents, rien n’est acquis. « Au début, certains parents étaient réticents mais d’autres par contre ont vite accepté. D’aucuns ont catégoriquement refusé car pour eux, c’est une perte de temps. D’autres encore, sceptiques, voulaient voir comment l’école fonctionnait », se souvient Leonard. 

L.Gamaygué et ses tout petits/ph:L.G
L’enseignant bénévole entouré de quelques élèves 

Cet état de fait est dû en grande partie au manque d’information. L’absence d’un système cohérent intégrant l’éducation des enfants nomades contribue également à leur exclusion. L’initiateur rapporte sa conversation avec un parent qui lui a demandé que les enfants iront à l’école jusqu’à combien de temps avant d’obtenir un emploi. « Je lui ai fait savoir qu’il faudra 13 ans au minimum pour avoir son baccalauréat et pour la licence, 16 ans en tout. Et il me demande si après ça, il va directement travailler. Je lui ai répondu que c’est plus que possible. Il me dit ce n’est plus la peine, c’est mieux qu’il s’occupe des dromadaires car à 16 ans, il peut avoir un troupeau. Mais au fur et à mesure quand les enfants commençaient à parler un peu français, ils étaient tous contents. Je crois que tous les parents ici sont convaincus qu’il faille laisser les enfants venir apprendre. Je leur ai fait comprendre qu’il n’est pas normal que les enfants restent à la maison car l’école n’est pas que la garantie d’avoir un emploi mais elle ouvre, fait croître l’esprit et l’intelligence », affirme le bonhomme. 

Léonard Gamaygué entouré de ses écoliers
Léonard Gamaygué entouré de ses écoliers, en plein dispensions de cours/ph: L.G

Abakar Moustapha, l’un des parents que nous avons interrogé a fait savoir qu’au début qu’il n’était pas d’avis avec la proposition de ce jeune, puisqu’eux-mêmes n’ont jamais été instruits. « Au début de deux semaines, mes enfants commençaient à réciter des choses en français, certaines de leurs manières ont changé. Cest à partir de là que j’ai trouvé intéressant que mes enfants continuent avec les autres. Maintenant je suis prêt à me sédentariser pour que mes 6 enfants soient scolarisés » dit-il. 

Une solution alternée mais efficace

Grâce à cette initiative, plus de 100 enfants suivent régulièrement les cours de français et de mathématiques dans ce campement. Compte tenu des activités de nomadisme, les autres se permutent pour surveiller les chameaux de leurs parents. Mais Léonard et son ami prennent des dispositions pour que ces derniers se rattrapent et progressent au même rythme par des cours de rattrapage. Parlant de ces dispositions, le jeune Léonard avoue : « nous respectons certes le programme du ministère mais tout en n’oubliant pas qu’ils sont des enfants nomades et qu’ils ne vont pas apprendre comme les enfants sédentaires. Nous développons ce que nous appelons la pédagogie situationnelle. Ça nous permet de mettre l’ambiance tout le long du cours. »

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Un autre parent témoigne : « nous savons désormais que la formation des enfants a une importance capitale. Nous sommes prêts à fournir plus defforts pour que nos enfants soient instruits davantage … ». Pour cet éleveur nomade, la réticence a désormais fait place à la confiance et il se dit disposé à laisser ses enfants aller à l’école de Léonard. 

Leonard ambitionne de pérenniser cette initiative avec le concours des organisations et personnes œuvrant dans le domaine de l’éducation. « Nous ne comptons pas lâcher parce que les enfants ont montré qu’ils ont vraiment envie d’apprendre. Nous avons promis d’être là pour eux et ce sera le cas », conclut le jeune enseignant bénévole.  

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